Professeur de français langue étrangère à l'Université d'Eichstätt-Ingolstadt, ses travaux s'inscrivent dans la tradition de la pédagogie active, considérant les apprenants comme capables d'effectuer des tâches beaucoup plus complexes que celles qui leur sont confiées dans les cours traditionnels. Retraité depuis 2008, Martin anime différents groupes de réflexion philosophique à Ingolstadt. Par ailleurs il s'efforce de favoriser l'intégration intellectuelle et affective des jeunes migrants en les faisant participer aux décisions politiques de sa commune grâce à un système de parrainage.
À partir de 1980, Jean-Pol Martin, a développé une méthode d’apprentissage appelée LdL (Lernen durch Lehren), que l’on peut traduire par « apprendre en enseignant », ou encore « enseigner pour apprendre ». En 35 ans, en Allemagne, plusieurs milliers de professeurs à tous les niveaux (primaire, secondaire, universitaire) ont intégré ce dispositif dans leur pratique enseignante et publié des textes pratiques et scientifiques (articles de revues, doctorats de 3 cycle, doctorats d’État). En quelques mots, ce dispositif place les élèves en situation d’enseignement, pour laquelle il leur faudra apprendre des contenus, les présenter à leurs pairs, et trouver un moyen de rendre la séance intéressante. Un thème est divisé en sous-thèmes que chaque binôme doit enseigner à la classe. Dans les faits, après un rappel des règles et des rôles de chacun des groupes, et l’introduction au sous-thème qui sera présenté, le groupe enseignant va chercher à savoir ce que les membres du groupe apprenant savent déjà sur l’objet d’enseignement qui est proposé. Il est très rare, en effet, qu’un objet d’enseignement soit complètement nouveau pour un groupe. Il s’agit de partir de ce qui est déjà là. La présentation se fait, et débouche sur un jeu de questions qui émanent du pôle enseignant (pour vérifier que les notions sont comprises), et du pôle apprenant qui cherche à en savoir davantage ou demande simplement des précisions. Cela implique de reformuler, d’expliquer, d’expliciter, d’avoir prévu une autre manière d’aborder l’objet d’enseignement. L’enseignant ou le formateur est là pour demander des éclaircissements (lors des échanges) ou des approfondissements (s’il constate que le groupe enseignant ne rend pas la totalité de ce qui est pertinent et de ce qu’il est capable d’expliquer). Ce n’est pas le traitement exhaustif d’un contenu qui est visé, mais plutôt la construction de l’essentiel à retenir. Enfin, dans le cadre de l’utilisation du dispositif dans un contexte scolaire, l’évaluation se fait par le biais d’un travail écrit à la suite de ces séances. Une attention particulière est portée sur l’évitement de l’ennui dans l’acte d’enseigner (ce qui suppose de passer du temps à préciser le rôle de l’enseignant aux stagiaires). Le second point est qu’il existe un moment clef dans les échanges, qui se situe dans les réponses fournies par le groupe enseignant, et plus particulièrement quand la réponse n’est pas suffisamment précise, ou plus simplement quand elle pose des difficultés. Jean-Pol Martin a théorisé cette approche au travers d’un cadre anthropologique. À gros traits, le besoin d’agir, de contrôler son environnement, implique le traitement de l’information qui par le biais d’une situation de communication authentique, résulte dans l’acte d’apprendre (pour enseigner). Il a constaté par ailleurs des états de flow (caractérisés par une forte absorption dans la tâche) dans les séances qui pourraient venir des conditions d’émergence du flow (Objectifs clairs, feedbacks fréquents, et incertitude de réussir ou d’échouer). (Heutte & Fenouillet, 2010, p. 2)
Le dispositif Enseigner pour apprendre à l'E2C GrandLille
Dans cette perspective, les séances de remise à niveau sont envisagées comme un moyen au service d’un projet professionnel. Il serait, pourtant, illusoire de croire que l’on puisse reprendre avec succès un parcours scolaire de plus d’une dizaine d’années au cours des neuf mois maximum que dure le parcours du stagiaire. Le temps consacré à la remise à niveau est destiné à générer une certaine reprise de confiance, à impulser une transformation de la relation au savoir, à déconstruire des représentations face à un sentiment de difficulté, d’incompétence acquise. Une séance de logique dont les explications du formateur, sans doute trop longues, n’ont pas abouti, et durant laquelle l’explication en quatre lignes d’une stagiaire a été significativement plus efficace, nous a amenés à rechercher puis à découvrir une méthode pédagogique appelée Enseigner pour apprendre (Lernen durch Lehren) . Utilisée en Allemagne depuis plus de 35 années, principalement dans l’apprentissage des langues étrangères, elle a été développée par Jean-Pol Martin (2004, 1994). Celui-ci a théorisé cette approche au travers d’un cadre anthropologique élargi (Maslow 1954 ; Csikszentmihalyi, 1997) : à gros traits, le besoin d’agir, et de contrôler son environnement, impliquent le traitement de l’information, par le biais d’une situation de communication authentique, et initient l’acte d’apprendre (pour enseigner). Lointain héritier de l’enseignement mutuel (Querrien, 2009 ; Jouan, 2015), Enseigner pour apprendre consiste à donner à un apprenant la tâche d’enseigner à ses pairs. C’est ainsi que, depuis 2016 sur le site d’Armentières, une expérimentation de ce dispositif est menée. Lors de cette expérimentation, notre objectif visait l’évolution, même légère, du rapport à l’apprentissage des décrocheurs qui passent de sujets nécessitant de l'aide pour apprendre (étayage souvent important) à sujets capables d’aider un pair sur des matières scolaires. De décrocheurs démotivés face aux difficultés et aux échecs, ils deviennent, le temps du dispositif, ceux qui transmettent des connaissances. Dans un premier temps, les notions choisies par les jeunes sont travaillées en petits groupes avec comme but d’expliquer aux autres stagiaires ce qu’ils ont récemment appris. Nous avons choisi d'organiser les séances de préparation des cours au sein de l'école, alors que dans sa version originale, il est préconisé que les apprenants fassent leurs recherches et créent leurs supports chez eux. Ensuite, les stagiaires-formateurs déploient leurs supports et entament le cours ; les stagiaires-apprenants écoutent et posent des questions sur les points qui restent incompris. Une évaluation est préparée par le premier groupe, non pas pour vérifier les acquis, mais pour favoriser l'entraide entre les deux groupes grâce au déplacement du Groupe-formateurs pour aller aider ceux qui ont des difficultés. Dans cette situation, le formateur-E2C est là pour encourager et susciter l'interaction entre Groupe-formateurs et Groupe-apprenants. Si nous replaçons le dispositif Enseigner pour apprendre dans la modélisation d’une situation d’enseignement-apprentissage proposé par le triangle pédagogique (Houssaye, 1988, p. 15), les trois pôles distinguant le formateur, les apprenants et le savoir, semblent peu appropriés. Un quatrième pôle, celui du médiateur (Poisson, 2010), doit être introduit. Ce faisant, la« proximité » entre le Groupe-apprenants et le Groupe-formateurs recherchée par le dispositif Enseigner pour apprendre, pourrait exclure le savoir comme le médiateur. Dans cette situation, il faut envisager un savoir en construction autorisant l’erreur, l'imprécision, les non-dits, et participant à un mouvement de va-et-vient entre questions potentielles du Groupe-apprenants et guidage du Groupe-formateurs. Quant au médiateur (formateur-E2C), il est amené à endosser et (ap)prendre une posture située dans un entre deux, conséquence de la dévolution (G. Brousseau (1997), c’est-à-dire de l’« acte par lequel l'enseignant fait accepter à l'élève la responsabilité d'une situation d'apprentissage […] et accepte lui-même les conséquences de ce transfert » (p. 41). Dès lors, il doit accepter de ne plus transmettre, et en même temps, d’aider les apprenants : faciliter et encourager les interactions verbales entre stagiaires sans reprendre la main sur la situation de formation-apprentissage. En cela, "Enseigner pour apprendre" modifie le contrat qui lie normalement formateur-E2C et apprenants.
Dans cette perspective, les séances de remise à niveau sont envisagées comme un moyen au service d’un projet professionnel. Il serait, pourtant, illusoire de croire que l’on puisse reprendre avec succès un parcours scolaire de plus d’une dizaine d’années au cours des neuf mois maximum que dure le parcours du stagiaire. Le temps consacré à la remise à niveau est destiné à générer une certaine reprise de confiance, à impulser une transformation de la relation au savoir, à déconstruire des représentations face à un sentiment de difficulté, d’incompétence acquise. Une séance de logique dont les explications du formateur, sans doute trop longues, n’ont pas abouti, et durant laquelle l’explication en quatre lignes d’une stagiaire a été significativement plus efficace, nous a amenés à rechercher puis à découvrir une méthode pédagogique appelée Enseigner pour apprendre (Lernen durch Lehren) . Utilisée en Allemagne depuis plus de 35 années, principalement dans l’apprentissage des langues étrangères, elle a été développée par Jean-Pol Martin (2004, 1994). Celui-ci a théorisé cette approche au travers d’un cadre anthropologique élargi (Maslow 1954 ; Csikszentmihalyi, 1997) : à gros traits, le besoin d’agir, et de contrôler son environnement, impliquent le traitement de l’information, par le biais d’une situation de communication authentique, et initient l’acte d’apprendre (pour enseigner). Lointain héritier de l’enseignement mutuel (Querrien, 2009 ; Jouan, 2015), Enseigner pour apprendre consiste à donner à un apprenant la tâche d’enseigner à ses pairs. C’est ainsi que, depuis 2016 sur le site d’Armentières, une expérimentation de ce dispositif est menée. Lors de cette expérimentation, notre objectif visait l’évolution, même légère, du rapport à l’apprentissage des décrocheurs qui passent de sujets nécessitant de l'aide pour apprendre (étayage souvent important) à sujets capables d’aider un pair sur des matières scolaires. De décrocheurs démotivés face aux difficultés et aux échecs, ils deviennent, le temps du dispositif, ceux qui transmettent des connaissances. Dans un premier temps, les notions choisies par les jeunes sont travaillées en petits groupes avec comme but d’expliquer aux autres stagiaires ce qu’ils ont récemment appris. Nous avons choisi d'organiser les séances de préparation des cours au sein de l'école, alors que dans sa version originale, il est préconisé que les apprenants fassent leurs recherches et créent leurs supports chez eux. Ensuite, les stagiaires-formateurs déploient leurs supports et entament le cours ; les stagiaires-apprenants écoutent et posent des questions sur les points qui restent incompris. Une évaluation est préparée par le premier groupe, non pas pour vérifier les acquis, mais pour favoriser l'entraide entre les deux groupes grâce au déplacement du Groupe-formateurs pour aller aider ceux qui ont des difficultés. Dans cette situation, le formateur-E2C est là pour encourager et susciter l'interaction entre Groupe-formateurs et Groupe-apprenants. Si nous replaçons le dispositif Enseigner pour apprendre dans la modélisation d’une situation d’enseignement-apprentissage proposé par le triangle pédagogique (Houssaye, 1988, p. 15), les trois pôles distinguant le formateur, les apprenants et le savoir, semblent peu appropriés. Un quatrième pôle, celui du médiateur (Poisson, 2010), doit être introduit. Ce faisant, la« proximité » entre le Groupe-apprenants et le Groupe-formateurs recherchée par le dispositif Enseigner pour apprendre, pourrait exclure le savoir comme le médiateur. Dans cette situation, il faut envisager un savoir en construction autorisant l’erreur, l'imprécision, les non-dits, et participant à un mouvement de va-et-vient entre questions potentielles du Groupe-apprenants et guidage du Groupe-formateurs. Quant au médiateur (formateur-E2C), il est amené à endosser et (ap)prendre une posture située dans un entre deux, conséquence de la dévolution (G. Brousseau (1997), c’est-à-dire de l’« acte par lequel l'enseignant fait accepter à l'élève la responsabilité d'une situation d'apprentissage […] et accepte lui-même les conséquences de ce transfert » (p. 41). Dès lors, il doit accepter de ne plus transmettre, et en même temps, d’aider les apprenants : faciliter et encourager les interactions verbales entre stagiaires sans reprendre la main sur la situation de formation-apprentissage. En cela, "Enseigner pour apprendre" modifie le contrat qui lie normalement formateur-E2C et apprenants.
Le modèle en 7 Points
Besoin de contrôle
On peut partir du principe que toute action accomplie par un être vivant a pour fonction de lui assurer le contrôle de son espace de vie.
Les besoins fondamentaux
Les besoins fondamentaux que la plupart des chercheurs distinguent (en particulier Maslow, 1954) semblent tous participer de ce principe (Martin, 1994) : en effet on peut considérer que les besoins physiologiques, comme la faim, la soif, la sexualité correspondent à une nécessité d’assurer la survie de l’organisme, donc sa capacité à se contrôler lui-même. Il en est de même du besoin de sécurité, d’amour ou d’appartenance à un groupe social. Dans tous ces cas l’individu cherche à contrôler sa vie et son environnement. À un niveau de besoins supérieurs, le souci de réaliser ses potentialités correspond à un vœu d’élargir l’espace contrôlé: si on se sent des capacités musicales ou sportives, on veut réaliser ces potentialités et maîtriser, donc contrôler les domaines correspondants. Enfin l’aspiration à la transcendance correspond également au besoin de contrôle. On veut donner un sens à sa propre existence et par là mieux organiser et maîtriser sa vie, lui donner une finalité même au delà de la mort.
La cognition comme instrument de contrôle
(Martin, 1994)Pour permettre aux élèves de mieux contrôler leur quotidien, il faut donc leur livrer les instruments cognitifs nécessaires, notamment un schéma qui permette de mieux comprendre le processus dialectique auquel tout être vivant ou tout système est assujetti (Martin, 1994).
L'antinomie des besoins
Tout système, tout être vivant est soumis à un champs antinomique de besoins, tels que le besoin de s’intégrer dans un groupe, mais aussi de préserver son individualité, de se plier à certaines contraintes mais aussi de préserver sa liberté, de satisfaire ses émotions mais aussi de faire travailler son intelligence, etc... Dès qu’un besoin, par exemple celui de liberté, est satisfait, aussitôt le besoin antinomique, c’est à dire celui d’une certaine contrainte, se fait sentir. Le système est donc toujours menacé de déséquilibre et ce n’est qu’en agissant constamment qu’il peut garder une certaine assise en dépit des antinomies qui l’animent. Plus un individu agit, plus il a de chances de maintenir l’équilibre entre ses pulsions antinomiques.
L'empathie
Un élément essentiel pour saisir la complexité du monde, notamment celle du monde humain, est l’empathie, c’est à dire la capacité de se mettre à la place d’autres êtres humains. On quitte sa sphère individuelle en prenant la perspective de l’autre, on élargit son champs de vision et par là même son contrôle cognitif.
L'attitude exploratrice
La soif d’activité correspond à une attitude exploratrice, c’est à dire à une tendance à rechercher des situations inconnues, nouvelles. Or l’attitude exploratrice est une caractéristique de personnes particulièrement performantes.
La dynamique qui s’engage est la suivante (Dörner, 1983) : une personne exploratrice prend plus d’initiatives qu’une autre et s’assure le contrôle de champs d’actions de plus en plus vastes. Plus l’espace contrôlé est large, plus la confiance en soi augmente et plus la personne est prête à prendre des risques et à se comporter de façon exploratrice, etc…
C’est cette attitude qu’il faut transmettre aux élèves.
Le flow
Dans le modèle anthropologique qui vient d’être esquissé l’attitude exploratrice joue un rôle central. Mais comment pousser élèves et étudiants à développer cette attitude ? Ce qui nous pousse à nous comporter de façon exploratrice, c’est l’effet « flow », dont Csikszentmihalyi (1997) nomme les paramètres : Le sentiment de « flow » peut se décrire comme l’impression d’être transporté entièrement dans une action, de faire corps avec elle. On peut éprouver cette sensation en faisant de la voile, de l’équitation ou en tenant une conférence suivie très attentivement par les auditeurs.
(Martin, 1994)Pour permettre aux élèves de mieux contrôler leur quotidien, il faut donc leur livrer les instruments cognitifs nécessaires, notamment un schéma qui permette de mieux comprendre le processus dialectique auquel tout être vivant ou tout système est assujetti (Martin, 1994).
L'antinomie des besoins
Tout système, tout être vivant est soumis à un champs antinomique de besoins, tels que le besoin de s’intégrer dans un groupe, mais aussi de préserver son individualité, de se plier à certaines contraintes mais aussi de préserver sa liberté, de satisfaire ses émotions mais aussi de faire travailler son intelligence, etc... Dès qu’un besoin, par exemple celui de liberté, est satisfait, aussitôt le besoin antinomique, c’est à dire celui d’une certaine contrainte, se fait sentir. Le système est donc toujours menacé de déséquilibre et ce n’est qu’en agissant constamment qu’il peut garder une certaine assise en dépit des antinomies qui l’animent. Plus un individu agit, plus il a de chances de maintenir l’équilibre entre ses pulsions antinomiques.
L'empathie
Un élément essentiel pour saisir la complexité du monde, notamment celle du monde humain, est l’empathie, c’est à dire la capacité de se mettre à la place d’autres êtres humains. On quitte sa sphère individuelle en prenant la perspective de l’autre, on élargit son champs de vision et par là même son contrôle cognitif.
L'attitude exploratrice
La soif d’activité correspond à une attitude exploratrice, c’est à dire à une tendance à rechercher des situations inconnues, nouvelles. Or l’attitude exploratrice est une caractéristique de personnes particulièrement performantes.
La dynamique qui s’engage est la suivante (Dörner, 1983) : une personne exploratrice prend plus d’initiatives qu’une autre et s’assure le contrôle de champs d’actions de plus en plus vastes. Plus l’espace contrôlé est large, plus la confiance en soi augmente et plus la personne est prête à prendre des risques et à se comporter de façon exploratrice, etc…
C’est cette attitude qu’il faut transmettre aux élèves.
Le flow
Dans le modèle anthropologique qui vient d’être esquissé l’attitude exploratrice joue un rôle central. Mais comment pousser élèves et étudiants à développer cette attitude ? Ce qui nous pousse à nous comporter de façon exploratrice, c’est l’effet « flow », dont Csikszentmihalyi (1997) nomme les paramètres : Le sentiment de « flow » peut se décrire comme l’impression d’être transporté entièrement dans une action, de faire corps avec elle. On peut éprouver cette sensation en faisant de la voile, de l’équitation ou en tenant une conférence suivie très attentivement par les auditeurs.